De fil en aiguille, du luxe aux Cinq Toits : le parcours atypique d’Alexandra Latour

Créative, douée, engagée… Alexandra Latour est une styliste de broderie à multiples facettes. Formée à l’École Boulle et à l’École nationale des arts appliqués aux industries de l’ameublement, elle a d’abord travaillé dans l’univers du design et de la conception trois dimensions au Danemark avant de se lancer en freelance pendant huit ans. Puis, elle a eu l’opportunité de s’immiscer dans le monde de la mode et du luxe, notamment au sein de la maison Lesage où elle a confectionné des pièces brodées pour les plus grandes entités de la haute couture (Dior, Chanel, Yves-Saint-Laurent…). Après de nombreuses années au service de cette maison et de l’atelier de broderie Dior, Alexandra a des envies d’ailleurs, elle souhaite se déconnecter « des incohérences et des disproportions de certaines réalités » dans le domaine du luxe pour se recentrer sur sa passion première : la décoration d’intérieur. Elle décide alors de monter son propre atelier de couture pour se mettre à son compte à temps plein. Une rencontre en amenant une autre, elle découvre les Grands Voisins et la coopérative Plateau Urbain, qui lui présente le projet des Cinq Toits. À la recherche d’un espace et souhaitant grandir dans un environnement associatif (dont le luxe a encore peu accès par manque de contacts selon elle), elle répond à un appel à projet et s’installe à l’ancienne caserne en janvier 2019. Ici, elle qualifie ses échanges avec les résidents des centres d’hébergement comme étant concrets et riches : « On peut tellement apporter et c’est ça qui fait du bien ».

Une brodeuse au projet éthique cousu main

Dans cette ambiance sereine, elle est rejointe un an plus tard par Natacha Fouquet, une ancienne collègue modéliste, puis par Delphine Facque, costumière et tailleuse, avec qui elle fonde La Veste en Jean. Il s’agit d’une marque aux fortes valeurs éthiques, écologiques et solidaires, qui réutilise des jeans en tant que matière première pour concevoir des vestes semi-sur-mesure. Souhaitant être actrice de l’économie solidaire, La Veste en Jean collabore avec des associations telles que Gage d’Amour, Aurore ou encore Emmaüs, qui lui donne les jeans invendus. En plus de ses liens extérieurs, la marque a tissé des liens au sein même des Cinq Toits : avant le partenariat avec Emmaüs, elle s’approvisionnait en jeans au vestiaire solidaire, qui permet aux résidents de la caserne d’avoir accès à des vêtements gratuitement, tout en favorisant la seconde main. Les jeans qui ne trouvaient pas preneurs étaient récupérés. Aujourd’hui, La Veste en Jean fait de plus en plus appel aux ateliers partagés des Cinq Toits pour l’aider à créer ses vitrines. De plus, les trois femmes à l’initiative de ce projet ont à cœur d’intégrer un maximum les résidents et les familles des centres d’hébergement des Cinq Toits à leurs travaux. Ainsi, des femmes du Centre d’Hébergement d’Urgence (CHU) lavent et coupent régulièrement les jeans. L’atelier de La Veste en Jean est ouvert à tous, et plusieurs résidents des centres venaient aussi effilocher et découper des tissus autour d’un café et d’une part de gâteau avant l’arrivée du covid. L’objectif d’Alexandra est de transmettre ses savoirs. C’est pourquoi en août 2020, elle a organisé un atelier de broderie aux Cinq Toits lors duquel elle a rencontré Moussa, un jeune des Apprentis d’Auteuil (une fondation reconnue d’utilité publique qui agit auprès des jeunes et des familles les plus fragiles), qu’elle a pris sous son aile, à l’instar d’autres stagiaires qui sont fréquemment embauchés pour s’exercer manuellement à ses côtés. Enfin, l’écologie et la mode éthique ne sont pas les seules causes que défend Alexandra. Fille d’une mère assistante sociale et d’un père décorateur, elle montre sa solidarité et son engagement dans ses œuvres, comme avec son installation NoName, élaborée avec Natacha pour dénoncer les violences faites aux femmes. Celle-ci sera vendue aux enchères prochainement et les fonds seront reversés à une association pour venir en aide aux victimes de maltraitances.

Écrit par Cloé Auclair et Nina Valentian, étudiantes en troisième année de Licence de Médiation Culturelle à la Sorbonne Nouvelle dans le cadre de leur projet culturel