
Michaël, Charlotte, Mélissa, Valentine et Matthieu sont les membres de l’équipe de la Conciergerie Solidaire, service d’insertion professionnelle de l’association Aurore. Coordinateur, conseillers en insertion professionnelle et encadrants techniques, ils partagent la vision de leur travail aux Cinq Toits, en lien avec l’écologie.
Nos pratiques sont influencées par le site sur lequel nous nous trouvons. Comme aux Grands Voisins, où la Conciergerie est née, nous portons aux Cinq Toits une attention particulière à l’écologie. Nous ne sommes pas ici par hasard, mais parce que nous défendons une certaine vision du travail social, de l’implication dans la société et dans notre environnement.
Notre objectif premier est l’insertion professionnelle des personnes que nous accompagnons. La défense de l’environnement n’est donc pas notre enjeu prioritaire, ni le cœur de notre métier. Mais si nous pouvons répondre à cet objectif tout en défendant un modèle qui nous semble plus durable c’est mieux ! Au-delà de la volonté d’aider et d’accompagner des gens qui en ont besoin, si via nos missions on peut aussi aider ou servir la communauté c’est positif !
Ainsi, les activités que nous développons comme support à l’insertion professionnelle ne sont pas anodines et sont souvent liées à cette notion d’écologie : aménagement d’espaces verts, gestion du compost, tri des déchets, bricolage avec des matériaux de récup’… Ce sont des activités manuelles, simples à expliquer, à comprendre et à réaliser pour les personnes en Dispositif Premières Heures* (DPH) que nous accompagnons, même si elles ne maîtrisent pas le français et/ou qu’elles ont un faible niveau scolaire. Les activités en extérieur sont également plus faciles à appréhender pour les personnes issues de la rue, qui n’ont pas l’habitude d’être enfermées. Elles sont moins bousculées et ça augmente les chances qu’elles reviennent la fois suivante ! Ces tâches permettent aussi de faire de la pédagogie et de sensibiliser au développement durable, tout en faisant notre travail d’accompagnement social. Nous semons des petites graines dans les esprits, en plus de réaliser l’activité.
Dans le cadre de notre activité de voirie, qui consiste à entretenir les espaces extérieurs des Cinq Toits, nous avons fabriqué des poubelles de tri et, en plus des ordures ménagères, nous trions les déchets électriques et électroniques, les mégots… Certains salariés sont déjà sensibilisés au tri mais d’autres nous demandent ce que les mégots vont devenir. Quand on explique qu’ils vont être recyclés pour fabriquer du mobilier de jardin, une attention particulière est accordée à cette tâche et ils finissent par jeter leurs mégots dans les cendriers de collecte !
Nous essayons d’inscrire nos pratiques dans le principe du “Do No Harm” (agir sans nuire), réduire les potentiels effets négatifs des actions mises en œuvre. Si on mène un projet social mais qu’en parallèle on détruit l’environnement dans lequel on vit, ou qu’on utilise des produits venant d’une industrie dans laquelle les conditions de travail sont horribles, ça ne marche pas ! Concrètement, nous avons installé une pépinière aux Cinq Toits : il s’agit d’une activité valorisante qui permet aussi de produire des plants en circuit court. On achète des graines à des fournisseurs du Réseau Semences Paysannes et non issues de l’industrie, pour éviter que ça vienne de loin et que ce soit produit par des personnes qui ne travaillent pas forcément dans de bonnes conditions. C’est jamais parfait mais on essaye d’être cohérent autant que possible.
Nos salariés ont déjà été confrontés aux problématiques environnementales. Cristian travaillait sur des chantiers d’extraction de tourbe quand il était en Roumanie. En France, l’extraction est maintenant interdite mais la tourbe est importée, notamment de Roumanie. Donc en plus de disparaître elle fait maintenant des kilomètres pour arriver jusqu’à nous !
Nous tentons de proposer des activités qui soient valorisantes pour les salariés en insertion, dans un cadre bienveillant et avec l’envie de faire bouger les lignes du secteur social. Nous avons envie que demain, ils puissent aller vers des métiers porteurs et qui ont du sens. Nous défendons cette vision, tout comme les partenaires avec lesquels nous travaillons. D’ailleurs aujourd’hui, beaucoup de chantiers d’insertion vers lesquels nous orientons nos salariés se tournent vers le secteur du développement durable : jardinage urbain avec Pépins Production, réutilisation de cartons et déménagements à vélos avec Carton Plein, réemploi avec Emmaüs, chantier de bio-nettoyage en CHRS avec le CASVP (Centre d’Action Sociale de la Ville de Paris)… Un de nos salariés vient d’être orienté à La Ferme du Rail, où il va faire ce qu’il faisait avec nous : récupérer à vélo les déchets organiques des restaurateurs du coin pour alimenter le composteur mécanique. C’est rassurant pour les personnes fragiles que nous accompagnons de connaître en amont l’activité vers laquelle elles sont orientées après leur contrat DPH. Si les salariés se plaisent sur une activité définie, nous essayons de trouver un chantier d’insertion dans la continuité. On a vu aux Grands Voisins notamment que de plus en plus de start-up se développent sur ces créneaux ; on peut espérer qu’elles embauchent aussi des personnes en fin de parcours d’insertion.
Le secteur du développement durable est porteur. Il est sur le devant de la scène ces dernières années et les collectivités appuient de plus en plus ces projets. Aujourd’hui, la Mairie de Paris revendique par exemple ne pas utiliser de produits phytosanitaires chimiques dans ses jardins. La Mairie est un employeur qui offre des possibilités d’emploi aux personnes en parcours d’insertion, notamment dans le domaine des espaces verts. Par ailleurs, à partir du 1er janvier 2024, composter sera obligatoire partout et pour tous. Il va y avoir de l’embauche dans ce secteur, et donc aussi en insertion. Faire découvrir cet univers à nos salariés répond déjà à une demande de main d’œuvre imminente. Ce sont des métiers d’avenir, en plus d’être des activités sympas et valorisantes.
Nous faisons attention à nos façons de faire. Cela nous semble important parce que nous avons envie de défendre un modèle pour demain qui tend vers une société plus durable. Mais nous dissocions tout de même accompagnement socio-professionnel et sensibilisation à l’environnement, parce que les personnes que nous accompagnons sont vraiment dans la galère et avant de réellement s’engager pour la préservation de l’environnement, elles ont d’autres problèmes à régler. Ce ne sont pas les premières personnes à sensibiliser. Nous les travailleurs sociaux on essaye de faire au mieux avec le peu de moyens qu’on a. Dans les centres d’hébergement, si les personnes étaient seules dans leur chambre, peut-être qu’elles feraient plus facilement le tri. Si les réfectoires étaient moins bondés, peut-être que les hébergés ne mangeraient pas dans des barquettes parce qu’ils pourraient faire leur propre cuisine, etc. Que peut-on faire dans le cadre du travail social en faveur de l’écologie avec le peu de moyens qu’on y donne ? C’est le système entier qui doit changer.
*Dispositif de la Mairie de Paris qui permet de reprendre progressivement un travail. Les salariés bénéficient d’un accompagnement socio-professionnel global et technique pendant 1 an, à raison de 3 à 16 heures hebdomadaires maximum.