Coup d’État au Soudan : un peuple en lutte face à l’autoritarisme militaire

Les Soudanais représentent la deuxième communauté en termes de nombre aux Cinq Toits après les Afghans. Si vous portez un regard attentif aux informations internationales, vous avez probablement entendu parler des événements qui ont secoué leur pays en octobre dernier. Nos résidents ont été particulièrement touchés par ces nouvelles ; on vous explique ici pourquoi à travers d’un retour sur l’histoire complexe de cette aire géographique tourmentée par des enjeux multiples, qu’ils soient politiques, économiques ou sociaux.  

Le Soudan se situe au nord-est de l’Afrique et appartient à la bande sahélienne. Son territoire s’étend jusqu’aux frontières de l’Égypte, de la Libye, du Tchad, de l’Érythrée, de l’Éthiopie, de la République Centrafricaine et du Soudan du Sud.  

Le Soudan fait la synthèse sur son territoire de bon nombre des enjeux auxquels font face de nombreux pays  africains : putschs, guerres civiles, famines et conflits d’influence. Et tout cela n’est pas le fruit du hasard : le pays est une grande source de coton, très prisé durant la colonisation, mais également de céréales, grâce à son climat favorable, et enfin de pétrole, exploité depuis les années 90 dans le sud – désormais indépendant – du pays. Ces caractéristiques font de la région une zone prisée par les entreprises chinoises, qui cherchent également à y développer d’autres types de cultures intensives d’exploitation.  

Malgré la richesse de ses sols, la pauvreté et la misère prédominent. Le pays est plongé dans une crise économique structurelle : près de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté, la monnaie locale ne cesse de se déprécier et l’inflation frôle les 150% annuels. À cela viennent s’ajouter des pénuries de gaz, d’électricité et de carburant quasi quotidiennes. 

Comprendre l’histoire du pays pour comprendre les divisions

Le Soudan a déclaré son indépendance vis-à-vis de l’Angleterre et l’Égypte le 1er janvier 1956. Depuis que ces deux puissances se sont officiellement retirées, le pays fait face à des clivages culturels profonds entre le nord et le sud, qui ont toujours éloigné la perspective d’une coexistence pacifique et une stabilité démocratique. En résulte une histoire émaillée de conflits armés et de coups d’État : une guerre civile éclate de 1956 à 1972 puis se poursuit de 1983 à 2005 jusqu’à la sécession qui aboutit en la partition en juillet 2011 de la République du Soudan et du Soudan du Sud.  Et c’est sans compter sur le conflit mortifère du Darfour depuis 2003 qui avait fait les gros titres des médias occidentaux en son temps.  

Au long de son histoire, le Soudan fait face à des influences multiples qui ont forgé son territoire et ont semé les graines d’un avenir conflictuel. En effet, les peuples soudanais descendent des pharaons d’Égypte et subissent une évangélisation massive au Moyen Âge caractérisée par l’implantation de missionnaires venant de Constantinople. Au 16e siècle, l’augmentation des échanges avec les marchands arabes conduit à une islamisation intense des peuples. Et c’est en 1899 que le territoire tombe sous le joug des Anglais et des Égyptiens et devient une colonie administrée par deux pays simultanément.  

Du fait des influences des pays voisins, le nord est davantage musulman et arabophone tandis que le sud demeure sous influence chrétienne. Malgré cette fracture importante, des mouvements nationalistes naissent et l’indépendance est proclamée en 1956. Toutefois, le départ des colons ne résout pas les différends politiques et ethniques, et des guerres civiles éclatent. Les musulmans de Khartoum considèrent les noirs du sud comme des êtres inférieurs et tentent de les arabiser et islamiser de force. C’est ainsi que commence la première guerre civile qui durera une quinzaine d’années, plus exactement jusqu’au coup d’État qui porte au pouvoir le général Gaafar Nimeiry, en 1969. Il s’ensuit alors une deuxième guerre civile qui va durer pendant plus de vingt ans. 

En 1989, à la suite d’un nouveau coup d’État, c’est le général Omar el-Béchir qui arrive au pouvoir. Son mandat autoritaire ne permet pas de réduire les tensions. Malgré un apaisement dans la situation dans le sud – qui débouche sur un accord de paix en 2005 – une nouvelle guerre civile éclate dans l’ouest du pays au Darfour en 2003, et les populations afro-musulmanes sont cette fois-ci particulièrement ciblées. Cette crise sanglante accouche d’un lourd bilan : des dizaines de milliers de morts et au moins un million de réfugiés, qui confère à ce conflit un statut de génocide. Opposant les tribus arabes (dont sont issus les milices soudanaises Janjawids) et les tribus noires africaines non-arabophones, ce conflit fait l’objet de 22 résolutions de l’ONU et 3 résolutions du parlement européen. En 2009, la cour pénale internationale délivre même un mandat d’arrêt international à l’encontre d’Omar el-Béchir pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Le Soudan du Sud coupe une grande partie des ponts avec le nord du pays en déclarant son indépendance en 2011 suite à un référendum où le “oui” a fini gagnant avec plus de 98% des voix.

Des soulèvements de 2018 et 2019 à l’espoir d’une transition démocratique 

Dès 2018, la population se mobilise dans un mouvement de révolte contre le régime d’Omar el-Béchir et la hausse exorbitante du prix du pain. De grosses manifestations éclatent et les Soudanais et Soudanaises descendent massivement dans la rue. Le 11 avril 2019, l’armée fait vivre au pays un énième coup d’État et met en place un conseil de souveraineté qui partage le pouvoir entre militaires et civils. Cette nouvelle gouvernance fait entrevoir l’espoir d’un nouveau souffle démocratique dans le pays, espérant que la promesse de la mise en place d’un gouvernement 100% civil à partir des prochaines élections sera tenue. Et la présence de l’économiste onusien Abdallah Hamdok en tant que premier ministre en est un symbole fort. Or, malgré la promesse d’une telle transition, les tensions sont exacerbées entre civils et militaires. Et la coalition entre militaires et civils n’est, selon plusieurs observateurs, que de façade.

La situation reste relativement stable jusqu’au 16 octobre 2021 où, sous prétexte d’agir en réponse à une mauvaise gestion économique, un putsch militaire est déclenché et le général Al-Bourhane accède au pouvoir le 25 octobre.  Ce dernier ordonne alors des arrestations massives – dont le premier ministre et d’autres civils du conseil de souveraineté – ainsi que la dissolution des institutions et des autorités de transition. Devant les caméras de la télévision d’Etat, il promet la formation d’un nouveau gouvernement pour « corriger le cours de la transition » et déclare l’état d’urgence dans tout le pays. De même, Internet est coupé pour éviter la formation d’organisations citoyennes. A l’ombre du pouvoir depuis les années 90, Al-Bourhane a été impliqué directement, avec la complicité du colonel Hemetti, chef des sinistres janjawids, dans les crimes contre l’humanité commis au Darfour, ainsi que dans les massacres de manifestants lors de la révolution de 2019, et ne cesse de réprimer massivement tout soulèvement actuel. 

En réponse à cette nouvelle crise, la population se mobilise à nouveau au travers de nombreux appels à la désobéissance civile. En effet, de nombreux Soudanais et Soudanaises ont manifesté contre le gouvernement provisoire avant même sa mise en place et en quelques heures, ils et elles étaient des milliers à défiler spontanément dans les rues de Khartoum, slalomant entre les barricades. Cet art de la barricade, beaucoup de manifestants l’ont déjà pratiqué pendant le mois de juin 2019. Les insurgés d’aujourd’hui ont puisé et réinventé des techniques et des pratiques forgées et expérimentées ces dernières années. Des “comités de résistance” très organisés se retrouvent lors de réunions clandestines une fois le soir venu. Persuadé qu’un avenir démocratique est possible, le peuple soudanais s’investit pleinement dans les mouvements de guérilla urbaine. 

Jusqu’à aujourd’hui, la rue reste déterminée à faire tomber la junte militaire. Le 17 novembre a d’ailleurs été la journée la plus meurtrière depuis le putsch du 25 octobre. Ces différentes manifestations pour une transition du pouvoir vers les instances civiles ont mené à la libération d’Abdallah Hamdok, ancien premier ministre du Soudan, mais le général Al-Bourhane est toujours au pouvoir à ce jour. 

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Alaa Salah, chantant la «révolution» au milieu d’une foule de manifestants à Khartoum, lundi 8 avril 2019, est devenu un symbole de la révolution soudanaise ainsi que de la place importante des femmes dans les soulèvements. © Lana H. Haroun/ via REUTERS

Sources :  

9 juillet 2011 – Naissance du Sud-Soudan – Herodote.net. (s. d.). Hérodote. https://www.herodote.net/9_juillet_2011-evenement-20110709.php

Bedu, C. (2021, 5 novembre). Coup d’Etat au Soudan : l’amertume après l’espoir de la révolution. Le Monde.fr. https://www.lemonde.fr/podcasts/article/2021/11/05/coup-d-etat-au-soudan-l-amertume-apres-l-espoir-de-la-revolution_6101002_5463015.html

Bustamante, P. (2021). Le Soudan, une histoire sous le signe de la guerre civile et des coups d’état. RTBF Info. https://www.rtbf.be/info/monde/detail_le-soudan-une-histoire-sous-le-signe-de-la-guerre-civile-et-des-coups-d-etat?id=10867189

Delmet, C. (2007). Un Soudan, des Soudan. Outre-Terre, n° 20(3), 193. https://doi.org/10.3917/oute.020.0193

Deshayes, C., & Vezzadini, E. (2019). Quand le consensus se fissure. Processus révolutionnaire et spatialisation du soulèvement soudanais. Politique africaine, n°154(2), 149. https://doi.org/10.3917/polaf.154.0149

Escande, P., Escande, P., Acquier, A., Feix, M., & Diaz, P. (s. d.). Soudan – Actualités, vidéos et infos en direct. Le Monde.fr. https://www.lemonde.fr/soudan/

GASCON Alain , MARCHAL Roland , « SOUDAN », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 26 novembre 2021. URL : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/soudan/Universalis‎,E. (2021, 2 décembre). SOUDAN. Encyclopædia Universalis. https://www.universalis.fr/encyclopedie/soudan/2-histoire/

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