Un ancien hébergé des Cinq Toits porte la voix des exilés afghans dans son livre “The Journey to Safeland”

Jawid Marwan est un ancien hébergé du Centre Provisoire d’Hébergement (CPH) des Cinq Toits. Mais il est avant tout écrivain. Grâce à la littérature, il a pu trouver une voie pour se faire entendre, pour amplifier les messages qu’il souhaite adresser à un monde qui ne donne, selon lui, pas assez de place aux voix afghanes. Alors qu’il est né en Afghanistan et qu’il y a vécu jusqu’à ses 28 ans, il est contraint de fuir son pays en 2015. Après un rejet de sa demande d’asile en Suède, il tente sa chance en France en 2019. Son entretien avec l’OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides) est fixé le 25 mars 2020, mais la pandémie de Covid, qui ne cesse de prolonger de nombreuses procédures d’asile, en décidera autrement. Jawid saisit alors cette opportunité pour réaliser son rêve : écrire son premier livre. Publié il y a un mois, son roman “The Journey to Safeland” rend visible l’une des millions d’histoires d’exilés qui ne trouvent que trop rarement écho dans le débat public. Pour en savoir plus sur son projet, nous lui avons posé quelques questions.

Jawid, quelle est l’histoire de ton roman ?

The Journey to Safeland parle d’un jeune homme afghan du nom Razee que j’ai rencontré au cours de mon voyage de l’Afghanistan vers l’Europe. Son histoire m’a intrigué, et j’ai décidé d’écrire un livre sur sa vie, de manière biographique mais également créative. Razee est né en Afghanistan en 1992, en plein milieu d’une guerre civile ayant directement suivi le conflit armé sanglant contre la puissance impérialiste soviétique.

Je suis né dans une famille musulmane. Dans l’islam, lorsqu’un bébé naît, l’imam lui récite des versets du Coran dans l’oreille. Lorsque l’imam récitait des prières dans mes oreilles, le bruit des explosions, des roquettes, des bombes et des missiles était plus fort que la voix de l’imam. J’ai été accueilli par des explosions, des tirs, des roquettes, des bombes et des missiles dans une zone de guerre. Quand l’Afghanistan s’effondrait.

Extrait de The Journey to Safeland, Jawid Marwan, 2021

Puisque Razee est athée et a travaillé pour l’armée, il reçoit des menaces des Talibans et doit donc fuir son pays. Sur son chemin, il rencontre Fatima, une femme iranienne qui fuit un mariage forcé, ainsi qu’Omar, un jeune garçon afghan de 13 ans, qui fuit d’un violeur pédophile qui l’a abusé. C’est avant tout l’histoire de chemins qui se croisent suite à des parcours très variés. 

Qu’est-ce que tu as voulu mettre en lumière avec cette histoire ?

J’ai voulu mettre l’accent sur les atrocités qui se produisent dans mon pays, et dont peu de gens parlent aujourd’hui. La communauté internationale a tourné le dos aux afghans et finalement on ne parle que de la propagande des Talibans alors que la situation est beaucoup plus complexe et grave : il y a de la torture et des massacres tous les jours, et, de plus, de nombreuses personnes risquent de mourir de faim à cause l’absence d’une réelle gouvernance. 

Un million d’enfants de moins de 5 ans risquent de mourir de faim d’ici à la fin de l’année en Afghanistan, alors que 3,2 millions d’enfants risquent de souffrir de malnutrition aiguë, sans traitement immédiat, selon le Programme alimentaire mondial (PAM). Selon un communiqué publié par le PAM, 14 millions de personnes en Afghanistan sont actuellement confrontées à une insécurité alimentaire aiguë alors que selon les enquêtes du PAM, “95% des ménages afghans ne consomment pas assez de nourriture, les adultes mangent moins et sautent des repas pour que leurs enfants puissent manger à leur faim

Note de l’auteur

Pourtant, la souffrance des Afghans ne s’arrête pas là. Nous sommes nombreux et nombreuses à avoir pris la route pour fuir la situation au cours de voyages très périlleux. C’est pour cette raison que j’ai consacré la première moitié du livre la vie de Razee avant et après le voyage, et l’autre moitié au voyage lui-même, car en peu de temps, on vit une vie entière, remplie d’expériences, de rencontres, mais surtout de difficultés et de souffrance. Je veux montrer aux lecteurs que la condition d’une personne exilée est très difficile à vivre, et que personne ne se met en route sans véritable raison. Personne ne laisse volontairement sa famille derrière soi. C’est un déchirement de ne pas voir sa mère pendant 6 ans, de l’entendre pleurer au téléphone à chaque appel.

Qu’est-ce que tu espères provoquer chez les lecteurs et lectrices de ton livre ? 

Ce livre s’adresse surtout aux occidentaux, et c’est aussi pour cela que je l’ai écrit en anglais. J’ai cherché à mettre en lumière les nombreuses histoires que vivent les personnes exilées, afin de contrebalancer les nombreux préjugés sur les réfugiés et demandeurs d’asile. Souvent, les médias les présentent de manière uniforme et se concentrent sur des aspects négatifs. Pourtant, chaque personne exilée a un nom et une histoire de vie, et en la mettant en valeur, je veux provoquer de l’empathie chez des lecteurs. J’aimerais qu’en voyant des images à la télé, ils pensent à un Omar, une Fatima ou un Razee, au lieu de voir simplement “un réfugié” anonyme. 

Quelle est la place de la littérature et de la poésie en Afghanistan ? 

Elle est très importante, et c’est même une très vieille tradition ! Ma région de naissance, Balkh, est la province de naissance du grand poète persan Djalâl ad-Dîn Rûmî. Dans ma ville Mazar i-Sharif, nous organisions régulièrement des cercles de poètes où nous lisions des poèmes et présentions nos propres écrits. Malheureusement les Talibans interdisent la publication de livres, il y a donc très peu de parutions. Mais même avant, avec notre gouvernement islamique, il y a eu de la censure. Je n’aurais jamais pu publier mon livre dans mon pays, car le sujet de l’athéisme y est très mal vu. En tant qu’écrivain exilé, j’espère pouvoir porter la voix des Afghans qui sont de nouveau brimés par les Talibans et dont le destin est ignoré par une grande partie du monde. Je voudrais que notre souffrance ne soit pas oubliée, et c’est celle d’un pays en guerre depuis l’attaque de l’URSS en 1979.

Cela peut vous choquer, mais en Afghanistan, presque tout le monde a une histoire d’expérience de mort imminente ; certaines personnes en ont même plusieurs. La plupart des Afghans ont une note dans leur poche avec le nom et le numéro de téléphone de leurs proches, juste au cas où ils se retrouveraient au milieu d’une explosion ou d’un coup de feu. (…) Nous avions un nouveau gouvernement, ils promettaient qu’ils allaient faire de l’Afghanistan le paradis sur terre, mais au lieu de cela, ils en ont fait le septième cercle de l’enfer, selon Dante, car c’était déjà l’enfer sur terre. Par conséquent, beaucoup de jeunes comme moi, qui étaient la cible des Talibans, et aussi ceux qui ne voyaient aucun espoir dans l’avenir, quittaient le pays.

Extrait de The Journey to Safeland, Jawid Marwan, 2021

Quand as-tu commencé à écrire, et qu’est-ce que la littérature représente pour toi ? 

J’ai commencé à écrire en 2012, mais j’ai toujours eu une grande affinité avec la littérature et la poésie. L’écriture est indispensable dans ma vie et me permet de me réapproprier une partie de la parole sur la migration et sur l’Afghanistan, de raconter cette histoire du point de vue d’une personne qui l’a vécu. Je fais plein de choses à côté, je suis DJ et barman, mais la littérature reste mon but ultime et un moteur. J’ai déjà écrit plusieurs romans, le prochain sera publié l’année prochaine. 

Propos recueillis par Luna Schafitel, service civique aux Cinq Toits

The Journey to Safeland est disponible sur les sites suivants : Fnac (eBook), Amazon, Booktopia (eBook), Kobo (eBook)