Faire parler les murs, rencontre avec Matar Dia

Aujourd’hui, nous vous proposons une rencontre avec Matar Dia, agent de médiation aux Cinq Toits. Comme ses collègues Malek et Jamal, présentés dans de précédents portraits, Matar allie son travail de lien social avec ses passions artistiques et anciennes, notamment la peinture. Dans la laverie des Cinq Toits, où il travaille régulièrement, il a transformé des murs vieillissants en galerie éphémère colorée et collaborative.

La passion du lien

Matar est agent de médiation : son rôle est de servir d’intermédiaire entre les résident.es et l’association Aurore, ainsi qu’entre l’ensemble des résident.es du site. « De nature, je suis un médiateur ». Passer une heure avec lui suffit pour comprendre la force des liens qu’il a tissés avec les personnes résidant aux Cinq Toits, où il travaille depuis l’ouverture en 2018 : « papy », « tonton », « Maaaatar », toutes et tous le saluent et le sollicitent avec affection et sympathie. « Ici je parle avec tout le monde », et effectivement, on l’entend jongler entre le français, l’anglais, l’arabe et même quelques phrases de pachto. De ces nombreuses rencontres sur le site, il retient les émotions et les histoires, nombreuses : « on trouve la joie, on trouve l’amertume, on trouve la tristesse, on trouve tout aux Cinq Toits […] Ici c’est une bonne école, où on apprend des choses de la vie, la réalité. […] J’entends des histoires dures. C’est dur de l’entendre déjà ; de le vivre c’est autre chose. Donc on apprend. On essaye aussi avec le peu qu’on a d’apporter une petite pierre au travail qui est fait ici : un coup de main, un sourire… ». Le sourire de Matar, toutes les personnes qui fréquentent les Cinq Toits le connaissent et l’adorent : « Mon sourire je ne le garde pas pour moi, je le partage », et c’est pour notre plus grand plaisir !

Les rencontres et les arts

Le parcours artistique de Matar débute au Sénégal, son pays natal. Au contact d’artistes comme Joseph René-Corail, sculpteur, et Pierre Soulages, peintre, il développe sa curiosité et ses pratiques. Il fréquente brièvement l’Ecole nationale des arts du Sénégal, mais se rend rapidement compte qu’une formation académique en arts ne lui correspond pas : « ce n’est pas ce que je voulais […] en rentrant dans une école, on commence à se serrer, à se rétrécir […] c’est une perte de liberté ». A son arrivée en France en 1981, il s’initie à l’argile et au modelage, et collabore pendant deux ans avec un artiste japonais dans une galerie. La fin de cette collaboration, difficile, conduit Matar à arrêter la sculpture et la peinture. Il se consacre un temps à la musique, à travers l’apprentissage du riti, instrument originaire d’Afrique de l’Ouest, et du cornet. C’est aux Cinq Toits que son histoire d’amour avec les arts plastiques reprend. Grâce à des structures partenaires travaillant sur le site, Matar retourne aux crayons, aux feuilles et à ses passions.

L’histoire de la galerie-buanderie 

Matar passe une partie importante de son temps de travail à la laverie des Cinq Toits. Espace indispensable de la vie des résident.es, il reste méconnu des autres acteur.ices du site. Pourtant, sur ses murs, peut être observée la colorée « galerie-buanderie éphémère », regroupant un ensemble de dessins faits à la craie et la peinture, par Matar, mais pas que. L’histoire de ce mur débute pendant la période de confinement, en 2020. « Tout le monde était isolé, physiquement et mentalement. Je me suis retrouvé seul avec le mur, j’ai commencé timidement par un trait, chaque jour je venais et j’ajoutais un autre trait […] Avant c’était pas comme ça, il y avait que des machines ici. Passer plusieurs heures seul avec les machines, sans rien, c’est dur, j’ai eu envie de dessiner ».

Sur ce mur, Matar dessine instinctivement : « des choses qui me reflètent, de ce que j’ai vécu, de ce que j’ai vu un peu partout […] Les images restent dans ma tête et elles peuvent surgir quand je dessine, parfois sous d’autres formes. » Matar cite l’exemple de ces hommes qu’il a observé dans un village de Bretagne, à Saint-Guénolé, qui faisaient des sculptures en pierres au bord de la mer. « Chaque dessin représente quelque chose, même le fait de penser et de le mettre sur le mur. A force de regarder, ça t’emmène ailleurs. Si on regarde bien, il y a certains dessins que j’ai fait sur le mur dont l’origine est plus ancienne que ma naissance ; ce sont des symboles de l’Afrique ancienne, des images qui restent dans ma tête. » Les symboles africains sont omniprésents, comme le kanaga de la fédération du Mali, proche aussi de la symbolique berbère, ou encore les pharaons noirs de Nubie, dont l’histoire racontée par Cheikh Anta Diop a grandement inspiré Matar.

« Le reste c’est ma folie douce ». Il nous montre « l’origine », son premier dessin, mais aussi un visage « de qui je ne sais pas, de ce que je réfléchis, de ma folie douce ». Une folie douce en mouvement constant. En effet, les premiers dessins faits par Matar en 2020 ne sont plus visibles sur les murs, ils ont été recouverts d’une épaisse couche de peinture bleue suite à un désaccord. « Avec le bleu j’ai essayé de supprimer les dessins […] Quelques temps après, je voyais le mur et je voyais d’autres dessins sortir des mêmes dessins ; j’ai alors commencé à le retoucher » : ce sont ces retouches, ces nouveaux dessins sortis des anciens qui ornent aujourd’hui les murs de la laverie. « Moi je crois que j’ai jamais fini ; tant que je vois [le dessin] j’ai jamais fini. »

Interrogé sur ses peintures sur toile, dont quelques-unes sont exposées dans la laverie-galerie, Matar explique : « pour dire vrai, je préfère le mur. Quand j’étais petit et que je n’avais pas de feuilles, je dessinais à la craie sur les murs. […] J’aime surtout les vieux murs, ils sont cassés, ils sont abîmés, mais il y a des formes et images qui ressurgissent ». Les craquelures des murs de la laverie ont donc servi d’inspiration, de base, de rebord, pour de nombreux dessins. Le mouvement intrinsèque à l’espace aussi : « Tout tourne. Entre les pupilles, les machines, et toi dans ta tête, ça fait tourbillon. »

Un mur de partage

Ce mur, c’est aussi une histoire de partage et de transmission. Les craies qu’utilise Matar pour ses dessins, « son trésor », lui ont été offertes par Alice, qui travaille depuis 2021 à la Bricole. Ce sont les craies de son enfance, « et maintenant c’est le vieux qui termine », nous dit Matar en rigolant. Ces craies et ces murs, Matar n’hésite pas à les offrir à d’autres : « Parfois les gens se murent dans le silence. Moi je parle avec les gens, j’arrive à déceler si ça va ou si ça ne va pas. […] Je te donne ce qu’il faut pour dessiner, c’est un mur et ça nous appartient, la galerie est éphémère, tout le monde peut y aller. » Pour illustration, Matar nous montre un imposant portrait aux tons roses, réalisé par une résidente des Cinq Toits pendant une douloureuse période de deuil, ou encore un dessin fait par de jeunes frères afghans, reproduisant les tensions fréquentes qui marquaient leur relation et leurs passages à la laverie. Pour Matar, cette dimension de partage, de mouvement et de liberté est fondamentale : « Peut-être que c’est ça qui m’aide aussi. J’essaye toujours d’être avec les gens. Je suis une personne avec mes souffrances, mes soucis, mais j’essaye toujours d’épargner les personnes avec qui je suis. J’ai toujours de la joie à partager avec d’autres. […] C’est difficile [la médiation] : chacun a sa façon de manifester sa souffrance. » Cette galerie-buanderie éphémère en est l’une des manifestations.

Pour clore l’entretien, Matar, l’artiste-médiateur, nous murmure : « moi je suis un mec de la rue […] ça c’est ma folie », les yeux rivés sur le mur et un grand sourire aux lèvres.

Retrouvez le travail de Matar sur Instagram : @galerie_buanderie

Entretien rédigé par Sofia Cardoso Gil, chargée de programmation aux Cinq Toits

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