Le son et l’image

Veilleur de nuit chez Aurore depuis 17 ans, Malek a réussi à conjuguer sa vie professionnelle avec sa vie personnelle et son talent pour la musique et la peinture. Des concerts au Zénith aux paysages kabyles, il s’exprime depuis la cour de la caserne sur son parcours et son art, mais aussi sur son métier et des inspirations. Une nouvelle rencontre passionnante et passionnée avec un artiste des Cinq Toits !

Bonjour Malek, est-ce que tu peux d’abord te présenter en quelques mots ?

Je suis Malek Dit Berar, j’ai 49 ans et je travaille pour l’association Aurore depuis 17 ans en tant que veilleur de nuit ! Je suis également père de famille, j’ai deux enfants et j’habite à Porte d’Auteuil pas loin des Cinq Toits. Je suis né en Algérie à Tizi Ouzou en Kabylie et je me suis installé en France en 2005 après être venu jouer de la musique à La Roche-sur-Yon. J’ai eu un premier enfant, et là je me suis mis à chercher du travail un peu partout et j’ai finalement choisi le métier de veilleur de nuit, car ça me laissait du temps pour pratiquer mon art et pour profiter avec ma famille. Aujourd’hui ma fille a 13 ans et elle est beaucoup plus autonome, mais quand elle était plus petite, c’est moi qui allais la récupérer à l’école et qui lui préparait les repas. Et en plus de tout ça, j’ai fait les beaux-arts, et aussi le conservatoire, ce qui m’a permis d’apprendre la batterie.

Enchaînons alors tout de suite sur la musique ! Comment cette passion est-elle née ?

Je fais de la musique nord-africaine, car je suis algérien d’origine kabyle. J’ai commencé quand j’étais au lycée en 1988 ! On m’a demandé si je pouvais jouer de la batterie, alors j’ai essayé, et c’est ainsi que la passion est née. J’ai fait des scènes un peu partout, j’ai joué avec beaucoup de chanteurs et j’ai côtoyé beaucoup de musiciens. J’ai été au conservatoire à Saint-Denis, j’ai aussi fait une école à Paris et quand je suis venu dans le 16e j’ai continué d’apprendre. À la maison, j’ai une batterie électronique, j’aime bien m’entrainer.

Tu joues avec quels groupes de musique ?

Je joue avec plusieurs groupes, je suis à l’écoute des plans qu’on me propose ! Je ne peux pas rester dans un seul groupe, ça ne représente pas assez d’activité pour moi. Malheureusement, je ne peux pas en vivre non plus… Quand tu joues au Zénith et qu’on ne te donne qu’entre 300 et 400 euros, tu es bien obligé d’avoir un travail à côté. Il m’arrive parfois de devoir refuser quand ça ne rentre pas dans mon planning… Pour obtenir le statut d’intermittent, il me faudrait 44 concerts par an, et avec le travail ce n’est pas possible. Au mieux, j’arrive à en faire une vingtaine ! C’est donc plus une passion qu’un métier au final ! Passion qui m’a permis de jouer avec de grands chanteurs kabyles au Zénith ou même dans des stades remplis. J’ai aussi pas mal joué en Algérie !

Est-ce que tu peux nous présenter ton parcours chez Aurore ?

J’ai débuté en 2006 en intérim pendant presque une année, avant d’être embauché en CDI. J’ai presque toujours été veilleur de nuit. Je préfère travailler le soir quand tout est calme, étant donné que je vois déjà beaucoup de monde quand je fais de la musique, j’apprécie le silence de la nuit. J’ai commencé avec la Chapelle jusqu’en 2009, un lieu exigeant, mais très formateur. Il y avait 50 lits par terre dans la même salle, ce n’est pas toujours facile. J’ai ensuite enchainé sur le Pavillon Pasteur à Saint-Vincent de Paul qui était ouvert bien avant les Grands Voisins, et ce, jusqu’à 2011.  J’ai beaucoup apprécié le chef de service du lieu qui m’a très bien accompagné et qui m’a donné envie de continuer l’aventure avec Aurore. Il nous a malheureusement quittés, mais j’espère qu’il a une place au paradis parce qu’il a été une personne très importante pour moi. C’est d’ailleurs lui qui m’a envoyé à Raguinot, le jour de l’ouverture du centre ! J’étais tout seul au début, puis le centre a commencé à se remplir petit à petit. Je suis resté là-bas jusqu’à 2018 et une mutation à Masséna à Ivry, mais ça n’a duré qu’un gros mois. J’ai ensuite cherché un lieu plus proche de mon domicile, et c’est là que j’ai rencontré William [Dufourcq] avec qui j’ai fait un entretien qui a débouché sur une embauche aux Cinq Toits. J’étais très content parce que ce n’est pas un endroit comme les autres : il y a de l’animation, le restaurant solidaire, les gens sont détendus, je m’entends bien avec les collègues, des ateliers sont organisés, on voit vraiment le côté socioculturel ! J’apprécie aussi beaucoup notre directeur Xavier [Bourgoin], j’aime vraiment bien cet endroit !

Peinture de la cour des Cinq Toits par Malek

Comment arrives-tu à articuler ta vie professionnelle aux Cinq Toits et ta vie artistique ?

Je profite parfois du calme de la nuit pour gribouiller quelque chose, mais quand je suis en service, je ne me permets pas de pratiquer mes activités personnelles.  J’aimerais bien pouvoir prendre un chevalet et peindre la nuit, mais je me dois de rester concentré pour assurer au mieux la sécurité du site. Le fait que je travaille sur 3 jours dans la semaine me laisse du temps en dehors pour m’exercer à la batterie, faire des répétitions, et même donner bénévolement des cours de dessin et de peinture pour une association à Boulogne qui travaille avec des personnes handicapées. Quand on travaille dans un lieu comme les Cinq Toits, on développe son côté humain, alors quand Brigitte, la directrice de l’association, m’a demandé de l’aide, je n’ai pas hésité à aller à leur rencontre. J’ai maintenant un atelier avec eux toutes les semaines, et j’apprécie énormément de les voir s’améliorer et apprendre des techniques artistiques.

J’en profite donc pour entamer une transition subtile vers le dessin ! Comment cette autre passion est-elle née ? Quelles sont tes influences ?

J’ai commencé en travaillant en tant qu’animateur culturel dans un centre pour jeunes, où j’ai eu l’occasion de rencontrer le directeur de l’établissement régional des beaux-arts de la région de Kabylie. Je lui ai proposé de venir m’exercer les samedis et dimanches pour pratiquer le dessin et la peinture, et il a accepté ! J’ai gardé mon emploi à côté, mais le weekend était artistique pour moi. Les autres étudiants m’ont rapidement fait remarquer que j’avais une touche spéciale, un style qui m’était propre. J’ai donc continué à pratiquer ma passion, et à lire des livres sur le sujet : je m’inspirais des impressionnistes comme Monet, Manet, Sisley, Pissarro ou bien encore Van Gogh. C’est comme ça que l’aventure s’est lancée ! J’ai dessiné un tableau de port, et tout le monde m’a dit « Tu ne veux pas le vendre ? », c’était flatteur ! Et puis quand je suis venu en France, je me suis inscrit dans un atelier des beaux-arts de Saint-Denis [au même endroit que le conservatoire de batterie]. J’ai fait un peu de modèles vivants, un peu de dessins de peinture, avant de rejoindre l’atelier des beaux-arts de Montparnasse où j’ai fait une année de dessin, puis une année de peinture. Quand j’ai eu fait pas mal de tableaux, les gens m’ont demandé pourquoi je ne faisais pas une expo ! Alors depuis je dessine sur mon balcon, et j’ai maintenant 25 toiles qui sont prêtes pour une exposition.

Quelles sont tes thèmes et tes techniques de dessin préférés ?

Je suis particulièrement attaché aux paysages méditerranéens par mes origines. J’aime particulièrement les montagnes parce qu’elles ont été présentes pendant toute mon enfance ! Dans le style, c’est comme pour la musique : on ne peut pas faire du blues ou du jazz comme les Américains, on ne peut pas faire du rock comme les Anglais, chacun a son style et c’est pour ça que j’ai décidé de dessiner ma région de naissance. J’aime l’impressionnisme, mais aussi l’abstrait, le figuratif, le semi-figuratif, j’aime un peu de tout et je vais souvent dans les musées pour puiser de l’inspiration. Je fais du fusain, du crayon, de l’aquarelle, et j’apprécie particulièrement la peinture à l’huile parce que quand tu fais une erreur, tu peux rectifier. Les gens apprécient ce que je peins, et des fois, je dessine des trains, des chevaux ou des femmes africaines pour changer. Je commence aussi à peindre Paris : Montmartre et Notre-Dame par exemple. Pour exposer mes œuvres, je n’ai pas beaucoup de temps, entre la musique, la peinture, le travail et la famille, ça fait beaucoup de choses déjà ! J’ai fait en juin dernier le festival des bouquinistes à Paris et j’étais sur le stand de mon ami Rachid qui avait la possibilité d’inviter un ami artiste-sculpteur, écrivain ou bien dessinateur pour l’accompagner sur les quais. Les gens s’arrêtaient régulièrement devant mes tableaux, et j’ai vendu des toiles à un couple américain et à un Japonais, entre autres, et j’étais très heureux que mes œuvres aient l’occasion de voyager !

Et pour conclure, est-ce que tu peux nous parler de ton actualité artistique ?

Je serai présent pour l’anniversaire des 4 ans des Cinq Toits le 27 octobre dans la cour de la Caserne pour jouer un set avec un groupe de musique kabyle ! Et bientôt, il y aura des expos.